La Chapelle Saint-Catherine, oser l’impossible

La Chapelle Saint-Catherine, oser l’impossible

Au logis de Moullins (Sarthe), les chantiers s’enchaînent sans interruption depuis 35 ans. Le dernier projet, inauguré le 3 décembre 2016, relève de la plus grande des audaces : restituer, en bois, les croisées d’ogives de la chapelle, à l’origine construites en pierre, en les appuyant sur les gerbes des colonnes à restaurer.Retour sur les doutes, les angoisses et les joies d’un chantier phénoménal.

Par Philippe Favre, maître d’ouvrage

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Lorsque tout s’oppose à la restauration de la plus belle partie d’un édifice, (ampleur, coût des travaux, stabilité, accord de la Drac), il faut oser l’impossible. Une analyse réfléchie, une démarche presque archéologique et le choix d’artisans, maîtres dans leur art et véritables passionnés, ont conduit à la réalisation d’un chef d’œuvre qui témoignera de l’art des compagnons du XXIe siècle.

Un sauvetage d’urgence

En 2007, l’altière chapelle privée de l’abbé de la Coûture est menacée d’écroulement.

De l’élégant édifice voûté en pierre appareillée et baigné de lumière, il ne reste que l’enveloppe subdivisée en cellier, pressoir et grange à l’étage.

Huit ans de lourds travaux ont permis la reprise en sous-œuvre puis la restauration de la charpente, la réouverture des baies et des portes d’origine1, la déconstruction du disgracieux appentis permettant la récupération de nombreux éléments, et la couverture en ardoises épaufrées et posées au clou. Dès la fin de l’été 2015, les Ateliers Perrault élaborent de nombreux plans de voûtes en bois et non en pierre. Le dossier est préparé avec minutie par Lucyna Gautier, architecte du patrimoine.

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Le dossier des voûtes au point mort

Début 2016, les demandes de permis de construire et de subventions semblent figées dans les rigueurs de l’hiver et trahissent les réserves de la Conservation à l’égard du projet. Pourtant, le conseil régional et le conseil départemental ont déjà promis leur fidèle soutien sous réserve de l’arrêté de la Drac2. Mais nous refusons d’abandonner. Notre dernière carte, ce sont les photographies attestant que l’architecte en chef des monuments historiques, Marie-Suzanne de Ponthaud, a osé la restitution de voûtes en bois sur les églises bretonnes du XVIe siècle, notamment à Henvic (Finistère). A notre stupéfaction, nous recevons, mi-avril, l’autorisation du permis de construire et l’arrêté de subvention. Notre joie immense se double rapidement d’une véritable angoisse financière. Le montant restant à notre charge après déduction des subventions accordées à un taux plus réduit, est déjà engagé. Mais l’accord de la Drac étant inespéré, et redoutant la volatilité des enveloppes, même sur crédits engagés, nous sollicitons deux banques pour lancer les travaux qui devront être achevés avant la mi-octobre, pour assurer le versement des subventions avant la fin de l’année.3

Le début du marathon

Les dix gerbes restaurées doivent être livrées aux charpentiers au plus tard fin juin. Les Ateliers Perrault doivent affiner, grâce à la pose de gabarits, les paramètres finaux : hauteur exacte des clés, rayon de courbure des arcs des croisées, ajustement de l’interface pierre/bois, etc. Les désordres de charpente, le déchaussement des fondations lors du creusement de la route au XIXe siècle, et la poussée générée par l’abatage des voûtes ont modifié le niveau et la verticalité des sommiers des gerbes ? Ensuite, les charpentiers fabriquent les croisées d’ogives et l’ensemble des merrains pour un assemblage à blanc dans leurs ateliers. L’assemblage sur site doit impérativement être réalisé avant la mi-octobre. Les entreprises acceptent le défi avec appréhension.

Les angoisses des artisans

Le permis de construire exige que les assises de gerbe mutilées soient largement conservées avec autant de greffes de moulure que nécessaire. Celles extraites seront mises à disposition de la Drac pour inspection. La préservation des enduits et l’extraction des assises trop mutilées rendent la tâche et l’agenda des artisans encore plus délicats. En outre, pour sauver un fond de moulure, un nombre impressionnant de greffes non prévues sont requises. Le maçon commence l’extraction délicate puis pose seul, au millimètre près, les énormes assises de gerbe que les tailleurs de pierre ébauchent, jour et nuit, dans leur atelier. Les réunions se succèdent. Par manque de temps, seul le haut des moulures des gerbes est achevé avant l’arrivée des charpentiers. Une fois les mesures méticuleusement relevées, les charpentiers reviennent monter un gabarit en peuplier, évoquant les croisées de la voûte sexpartite du chœur. Il révèle un décalage avec certaines gerbes, au niveau des rayons de courbure. Les ajustements au niveau de l’interface pierre/bois vont être très complexes. Afin de respecter l’imperfection des techniques de l’époque, nous insistons sur la nécessité de s’affranchir de la symétrie au niveau des croisées. Il faut aussi rehausser les clés de voûte, en veillant à ce que l’extrados évite les entraits de la charpente.

Pour les greffes, la réutilisation de la partie frontale des morceaux de croisées, récupérés dans les jambages d’une porte de grange, permettra de gagner du temps.

Le 9 septembre, le montage à blanc est réalisé dans les Ateliers Perrault. Dès l’entrée, la vue de l’armature de la voûte est saisissante. Gabriel Perrault avoue : « Nos compagnons ont été si étonnés de leur prouesse, que leurs familles pourtant habituées aux belles réalisations, ont défilé tout le weekend pour admirer l’œuvre. » L’assemblage des croisées et de leurs joues à l’arrière ont révélé des complexités lors de la pose de merrains tailles en queue de billard. Nous repoussons le délai de fin de chantier vers la fin octobre et, afin de décharger les charpentiers, assurons nous-mêmes les déchafaudages et le nettoyage du site avec les bénévoles de l’association.

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Les joies et les peurs de l’assemblage sur site

L’adresse des charpentiers leur permet d’introduire les arcs de croisée, longs de quatre mètres et pesant chacun plus de 200 kg, sans démantèlement du meneau nos des barlotières traversantes des baies du chevet.

Deux niveaux supplémentaires d’échafaudage sont érigés. Une équipe de quatre charpentiers et trois tailleurs de pierre transforme l’espace clos du chantier en une ruche au printemps.

La première est la deuxième croisée de la nef sont assemblées en deux jours. Chaque demi-croisée est mise en place à la force du poignet mais le moindre faux mouvement peut provoquer la cassure du nez de moulure de l’un des sommiers.

Cependant, la croisée sexpartite représente un autre défi. L’ancrage dans le mur du chevet, très ajouré, présente un sérieux risque de stabilité. Les fines gerbes n’ont qu’un sommier pour un seul départ de croisée et non trois, comme celles des gouttereaux. Le nez de gerbe risque de rompre, à plus ou moins brève échéance. Il semble indispensable de prolonger l’assise des demi-croisées et de les ancrer dans les murs, heureusement raidis par des contreforts. Inquiet lui aussi, le tailleur de pierre décide de passer un coup de scie horizontale pour séparer la base de la croisée en bois du nez de la gerbe en pierre. Une torsion du bois de la croisée ne pourra ainsi casser le nez de la gerbe. L’espace sera comblé par un mortier caoutchouteux capable d’absorber la pression. Les tranchées verticales dans les murs seront ménagées pour que la belle mouluration des arcs formerets vienne mourir sur les joues des croisées, afin d’en souligner la mouluration nerveuse. Plusieurs greffes seront nécessaires aux endroits trop endommagés.

La pose des merrains commence. L’aspect d’un intrados en hélice apparaît. Au fur et à mesure du comblement des espaces entre croisées, le chef-d’œuvre prend forme. Les merrains sont maintenus par des chevrons cintrés, sur l’extrados. L’assemblage en langue de vipère des queues de billard requiert de multiples minutieux ajustements. Le sculpteur sur bois apporte les derniers coups de ciseaux aux moulures des clés de voûtes.

Et pour voir l’envers du décor, une passerelle de bois a été installée au-dessus des voûtes, accessible par un escalier à vis logé dans le contrefort occidental puis par l’échelle de meunier trouvée en 1982 qui permettait l’accès de la pièce du pressoir (la nef) au premier étage servant de grange.

Lors de l’inspection du chantier pour vérifier la conformité, Anne-Marie Chépeau-Malhaire, ingénieur de la Drac, nous confie : « la Drac était très réservée pour lancer ce chantier, mais que le résultat est beau ! »

www.logisdemoullins.fr

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Glossaire

Gerbe : partie sommitale d’une colonne engagée recevant les croisées d’ogive sans chapiteau.

Gouttereau : une toiture à deux pentes comprend deux murs pignons et deux murs gouttereaux. Ces derniers reçoivent le ruissellement de l’eau et seront munis de gouttières au XVIIIe siècle.

Merrain : bois de chêne ou de châtaignier, débité en planches et utilisé surtout dans la tonnellerie.

Extrados : surface extérieure et convexe d’une voûte, d’un arc, d’un cintre.

Intrados : surface intérieure et concave d’une voûte, d’un arc, d’un cintre.

Meneau : élément structurel en pierre divisant verticalement une baie, et ici, supportant le réseau, véritable dentelle de pierre.

Barlotière : traverse principale en fer destinée à recevoir les panneaux de vitrail. Ancrées dans les jambages, elles traversent généralement les meneaux pour une meilleure stabilité de l’ensemble.

Parole de propriétaire

Philippe Favre, propriétaire

« Ce chantier, plus proche de la haute couture que du prêt-à-porter, a permis de donner un coup de chapeau à un groupe d’artisans géniaux tout en amenant les dirigeants de ces entreprises à prendre conscience de la valeur de leurs équipes. »

Source : DEMEURE HISTORIQUE  I Numéro 205